"Tu as de la chance d'être Franco-américaine".
LE PLUS. Aline, 55 ans, a toujours vécu à Bayonne, mais elle a une particularité : celle d’être née aux États-Unis. Comme Caroline, elle est une "Américaine accidentelle". Parce qu’elle a la double-nationalité, elle doit déclarer également ses impôts outre-Atlantique. Le fisc américain lui demande de payer 2.319,50 dollars. Depuis deux ans, elle tente de régulariser sa situation. En vain.
Mes parents sont originaires de Bayonne. Toute ma vie, j’ai résidé dans le sud-ouest de la France, jamais à l’étranger. Pourtant, je suis née en 1961 en Californie, je n'y suis restée que neuf mois. J’ai toujours ignoré que j’avais la double-nationalité, je ne l’ai appris que lorsque j’ai voulu partir en vacances de l’autre côté de l’Atlantique. J’avais 20 ans et je m’apprêtais à demander un visa à l’ambassade américaine. On m’a alors répondu que ça ne servait absolument à rien. Puisque j’étais née sur le sol américain, j’étais considérée comme Franco-américaine. Cette annonce ne m’a fait ni chaud ni froid. Je me suis fait faire un passeport, que j’ai continué à renouveler mécaniquement. J'ai un "indice d’américanité" Jusqu’à il y a deux ans, je n’avais jamais entendu parler de la loi Fatca (Foreign account tax compliance act) mise en place en 2014. J’ignorais que le fait d’avoir la double nationalité impliquait que je déclare mes impôts également aux États-Unis. Jamais personne ne m’a contacté à ce sujet. Ni le fisc américain, ni l’ambassade. C’est donc sans connaissance de cause que, fin 2014, j’ai reçu un courrier de ma banque, ING Direct, qui me parlait de mon "indice d’américanité". Dans un premier temps, j’ai été très choquée par l’emploi de ces termes. La banque me demandait de remplir un papier – le formulaire W9 – dans lequel j’étais priée de leur donner mon numéro fiscal américain. Je ne comprenais rien du tout. Jamais on ne m’avait demandé de telles informations, notamment lorsque j’avais ouvert ce compte avec des papiers d'identité français. En me renseignant, j’ai découvert la loi Fatca : je devais déclarer mes impôts aux États-Unis à cause de ma double nationalité. Apeurée et ne sachant pas quoi faire, j’ai décidé de remplir ce formulaire, tant bien que mal. La banque m’a alors demandé de le remplir totalement, de leur fournir mon numéro de sécurité sociale américain. Cela m’était impossible, puisque je n’en ai jamais eu. Le fisc américain me réclame 2.319,50 dollars La banque m’a alors expliqué que je devais compiler un dossier pour prouver que je n’avais jamais vécu sur le sol américain. C’est ce que j’ai fait en récupérant toutes mes fiches de paie, mes déclarations d’impôt, mes diplômes, etc. Avec toute cette paperasse sous le bras, je me suis rendue allée à l’ambassade américaine à Paris, à plus de 800 kilomètres de chez moi, pour tenter de régler cette situation kafkaïenne. Là-bas, j’ai pu obtenir un numéro fiscal temporaire. Sur internet, je n’arrivais pas trop à trouver la solution à mes problèmes. Un jour de mai 2015, j’ai finalement décidé de remplir ma déclaration en ligne auprès du fisc américain (IRS). Fonctionnaire, je gagne 1.800 euros par mois et je suis locataire de mon appartement. J’étais persuadée qu’avec de tels revenus, le fisc ne pouvait pas me demander de débourser quoi que ce soit. J'avais tort. En août 2015, j’ai reçu une lettre de l’IRS : on me réclame 2.319,50 dollars (environ 2.189 euros, ndlr) ! Je n’avais pas la moindre explication. J’étais totalement estomaquée. De quel droit devais-je verser cette somme puisque je paye mes impôts en France ? Et puis, ce n’est pas avec mon petit salaire que je peux m’acquitter de cette somme. Pour le moment, je fais la morte Totalement démunie et perdue, j’ai continué mes recherches sur internet et je suis tombée sur le collectif des "Américains accidentels"* de Fabien Lehagre. Il m’a conseillé de me rapprocher d’un avocat. Je l’ai contacté et c’est lui qui m’a expliqué que je n’aurais pas dû déclarer mes revenus à l’IRS. En les appelant, il a appris que les 2.319,50 dollars que je devais étaient des pénalités. Parce que j’avais mis un numéro fiscal provisoire, on me demandait de payer pour cette erreur. Un comble. J’ai reçu trois lettres de relance de la part de l’IRS. Pour le moment, je fais la morte. Il n’est pas question de payer cette somme. J’ai l’impression de me faire racketter Je ne me suis jamais sentie américaine, mais aujourd’hui, je peux même dire que ma double nationalité me dégoûte. Évidemment, j’ai envisagé d’y renoncer, mais pour faire cette démarche, il faut encore payer : or, je ne suis pas en mesure de débourser 2.350 dollars de frais de renonciation à la nationalité. C’est beaucoup trop. Et puis, de quel droit devrais-je payer pour renoncer à une nationalité ? En attendant, je n’ai pas d’autre choix que de rester dans le flou total. J’aimerais pouvoir être au clair avec le fisc américain, mais j’ai peur de les contacter et qu’il me réclame une somme phénoménale. Ce mode de fonctionnement n’est ni plus ni moins que du racket, un racket approuvé par les banques et les autorités françaises. Cette loi a peut-être été pensée pour contrer les personnes qui placent leur argent dans des paradis fiscaux, mais elle est particulièrement contraignante pour des citoyens comme moi. J’ai le sentiment qu’on m’accuse de blanchir de l’argent. Je n’ai absolument rien à cacher. Impossible de changer de banque ou de faire un prêt À cause de ma situation, je suis aujourd’hui totalement coincée. Je ne peux pas changer de banque, alors que c’est mon droit, tout simplement parce qu’on risquerait de me demander de remplir encore ce fameux formulaire. J’ai essayé d’ouvrir un compte sur une banque en ligne, cela m’a été impossible à cause de ma double nationalité. J’ai aussi très peur, qu’un jour, le fisc américain décide de se servir directement dans mon compte. Et puis, que se passera-t-il si un jour je souhaite retourner aux États-Unis pour des vacances ? Me laissera-t-on y entrer, puis en sortir ? Rien n’est certain. Je suis également dans l’incapacité de faire un prêt, puisque la banque refusera de m’octroyer le moindre crédit. Être Américaine est un fardeau J’ai essayé d’en discuter avec quelques amis, mais ils ont beaucoup de mal à comprendre ma situation. Pour eux, il est totalement invraisemblable que je paye des impôts aux États-Unis ? D’autres personnes m’ont déjà dit : "Tu ne devrais pas te plaindre. Tu as de la chance d’être Franco-américaine." J’ai beau chercher, ce n’est pas une chance, mais davantage un fardeau. Je n’ai aucune admiration pour les Américains. Et encore moins pour leur nouveau dirigeant, Donald Trump. Si j’avais le choix, je leur rendrais mon passeport avec plaisir.
Propos recueillis par Louise Auvitu http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1636269-tu-as-de-la-chance-d-etre-franco-americaine-non-ma-double-nationalite-est-un-fardeau.html
Tax Day maneuvering
https://www.politico.com/newsletters/morning-tax/2018/04/17/tax-day-maneuvering-173611