"Américaine accidentelle", je vis un enfer.
LE PLUS. Caroline, 37 ans, est née aux États-Unis de parents français et y a vécu deux ans. Franco-américaine, sa double nationalité lui a été défavorable lorsqu’elle a découvert qu’elle devait payer des impôts là-bas. En effet, les États-Unis sont l’un des seuls pays au monde à faire reposer le statut du contribuable sur la nationalité et non sur le lieu de résidence. Empêtrée dans un imbroglio juridique, elle tente désespérément de régulariser sa situation. Je suis née en 1979 à Los Angeles. Mes parents étaient Français, mais expatriés aux États-Unis pour des raisons professionnelles. Toute ma vie, j’ai eu la double nationalité franco-américaine. Même si je n’ai vécu que les deux premières années de ma vie outre-Atlantique, j’ai toujours trouvé ça amusant d’avoir ce double statut. J’étais la seule de ma fratrie à avoir cette particularité. Je me souviens d’être retournée aux États-Unis quand j’avais sept ans, puis en 2008 avec mon mari. Toujours avec mon passeport français puisque je n’ai jamais refait mes papiers d’identité américains. Un héritage bloqué à cause de "mon indice d’américanité" Depuis juillet 2014, la France et la Suisse se sont engagés à communiquer les données fiscales de leurs résidents américains. Pour le moment, ce dispositif n’est pas réciproque. En tant que juriste, j’avais entendu parler de la loi Fatca (Foreign account tax compliance act), visant à lutter contre la fraude fiscale, mais jamais je n’aurais imaginé être directement concernée. J’ai toujours payé mes impôts en France, et puisque je n’ai jamais réellement vécu sur le sol américain, pourquoi aurais-je dû payer des impôts aux États-Unis ? J’avais tort. En réalité, les États-Unis sont l’un des seuls pays au monde à faire reposer le statut du contribuable sur la nationalité et non sur le lieu de résidence. Je l’ai compris en septembre 2014, quelques mois après le décès de mon père. Il fallait régler la succession. Je pensais qu’il n’y aurait aucun souci, mais j’ai reçu un courrier de la banque de mon père, la BNP-Paribas, pour me signaler que j’avais un "indice d’américanité" du fait de mon lieu de naissance. J’étais donc concernée par la fameuse loi Fatca. Pour débloquer l’héritage, je devais prouver que j'étais en règle vis-à-vis du fisc américain (l'IRS). En attendant, la succession resterait bloquée. Ça a été la douche froide. Après avoir encaissé le coup, je me suis dit que je voulais être en règle. Si je devais payer, pas de souci, je le ferais pour vivre en toute tranquillité. J’avais besoin de mon numéro fiscal américain. Je n’en ai jamais eu J’ai contacté l’ambassade américaine pour me renseigner. On m’a alors demandé quel était mon numéro fiscal (Individual taxpayer identification number) ? Je n’en avais pas. Que faire ? Je devais leur fournir un numéro de sécurité sociale américain (Social security number). Idem, je n’en ai jamais eu. Mon père n’en a jamais disposé puisqu’il était expatrié. En fouillant sur internet, j’ai appris que pour obtenir mon numéro de sécurité sociale, il fallait disposer d’un extrait d’acte de naissance. Tout de suite, je me suis dit. C’est bon, la situation va vite être réglée. En France, on l’obtient en quelques clics, mais aux États-Unis, c’est une autre paire de manches. Pour obtenir un tel certificat, je devais me rendre sur place puisque l'ambassade américaine à Paris ne délivrait pas le document notarié requis. Aucune procuration n’était possible. Et même si je le faisais, je n’avais aucune garantie puisque je n’avais plus de papiers d’identité américains. Au pied du mur, j’ai dû renoncer à ma double nationalité Cet imbroglio administratif n’impactait pas que moi, mais tous les membres de ma famille. Impossible de faire le deuil de l’être cher que nous avions perdu. La situation était totalement bloquée. J’étais aussi pressée par le temps : mon mari et moi devions partir nous installer en Suisse en janvier 2015. Après m’être renseignée, j’ai réalisé que je ne pourrais jamais ouvrir un compte bancaire en Suisse – condition sine qua non pour pouvoir travailler sur le territoire – sans prouver que j’étais en règle avec le fisc américain, l’IRS. C’était le serpent qui se mord la queue. Je me suis renseignée auprès d’avocats fiscalistes. On me demandait 5.000 dollars pour prendre mon dossier en charge. Inenvisageable. Durant tout ce temps, j’ai harcelé l’ambassade des États-Unis qui était incapable de me donner une solution. Un jour, je suis tombée sur une femme qui m’a dit : "Si vous ne voulez rien faire de votre nationalité américaine, le plus simple serait d’y renoncer." Au pied du mur, c’est donc ce que j’ai fait. Par dépit, j’ai renoncé à un droit parce que je ne voyais pas d’autre issue. Cela m’a coûté la modique somme de 2.350 dollars L’ambassade américaine m’a envoyé un dossier de 25 pages à remplir, entièrement écrit en anglais dans un vocabulaire technique indéchiffrable pour une personne non-bilingue. On me demandait de raconter mon histoire, d’expliquer les raisons qui me poussaient à renoncer à ma nationalité avant d’énoncer une liste de conséquences incroyables. Une fois le formulaire rempli, j’ai obtenu un rendez-vous à l’ambassade. Quand je suis arrivée, on m’a installé dans une salle avec des vitres de protection. Je n’avais pas le droit de boire, de manger et mon portable m’a été confisqué. Une fonctionnaire est entrée dans la pièce de trois mètres carré. Elle parlait avec un débit hallucinant. Je ne comprenais rien. J’ai demandé à être assistée, cela m’a été refusé. Clairement, elle se fichait bien de ce que je pouvais vivre. Elle m’a posé quelques questions. Je lui ai demandé si ma situation fiscale serait en règle après cette renonciation. Elle m’a répondu que ce n’était pas son problème avant de m’exposer toutes les conséquences de mon acte : il serait beaucoup plus difficile pour mes enfants de faire leurs études aux États-Unis et pas sûr que je puisse un jour obtenir un visa si j’étais amenée à m’y installer. Elle s’est absentée une heure pour que je réfléchisse à tout ça. Quand elle revenue, je lui ai expliqué que ma décision était prise. J’ai été alors priée de passer à la caisse pour m’acquitter des frais de traitement de dossier : cela m’a coûté la modique somme de 2.350 dollars ! J’ai toujours cette épée de Damoclès au-dessus de ma tête J’ai attendu près de trois mois pour obtenir mon acte de renonciation. La première barrière était franchie, il fallait dorénavant que je m’attelle à ma régularisation auprès du fisc américain. Dans la mesure où j’allais toucher un héritage supérieur à 50.000 euros, je risquais d’être taxée par l’IRS. Pas de souci pour payer, je voulais juste ne plus vivre avec cette épée de Damoclès suspendue au-dessus de ma tête. Je les ai contactés à de nombreuses reprises, mais n'ayant toujours ni numéro fiscal, ni numéro de sécurité sociale, aucune solution pour sortir de cette impasse ne m'a été proposée . Personne n’a été en mesure de me dire si j’allais payer une taxe ou non. On m’a même conseillé de continuer à "vaquer à mes occupations", en attendant une issue providentielle. Concernant l’héritage de mon père, la situation ne s’est pas débloquée du jour au lendemain. La banque me demandait de remplir le formulaire W8-BEN, mais, là encore, je devais fournir un numéro fiscal américain. Mon acte de renonciation ne suffisait pas. Lassée, furieuse, et accompagnée dans mes démarches par le collectif* des "américains accidentels", j’ai décidé d’envoyer des emails au gouverneur de la banque de France, à différents conseillers gouvernementaux, au ministère des Affaires étrangères, etc. Je ne sais pas ce qui s’est passée, mais un jour, la BNP m’a appelée pour me dire que la situation allait être débloquée. Il aura fallu deux ans pour entrevoir le bout de cette histoire. Mais je ne suis toujours pas rassurée. Je sais qu’à tout moment, l’IRS peut me retomber dessus et me demander de payer des taxes avec des pénalités rétroactives. L’épée de Damoclès est toujours là. Le sentiment d’être rejetée de toute part Ce qui est assez cocasse, c’est que ce n’est pas la première fois que je dois me battre pour prouver ma nationalité. En 2008, j’ai eu beaucoup de difficultés à renouveler mon passeport français. Deux ans plus tôt, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, avait fait voter une loi réclamant aux personnes nées à l’étranger de parents nés, eux aussi, à l’étranger de fournir la preuve qu’ils étaient Français. Mon père est né au Maroc, ma mère au Congo, au temps des colonies, tous les deux sont Français, mais cela ne suffisait pas. Il a fallu, bien qu'en possession d'une carte nationale d'identité et d'un passeport français, que je récupère les actes de naissance de ma famille sur trois générations pour prouver que j’étais de nationalité française ! Avec cette nouvelle mésaventure, j’ai le sentiment d’être rejetée. Cela fait deux ans que je vis un véritable calvaire, et ma famille aussi. Ma mère m’a même dit que si elle avait su, elle serait rentrée en France pour accoucher. Je ne suis pas la seule dans cette situation. Les "Américains accidentels" seraient près de 50.000 personnes. Certains ont d’ailleurs déboursé plusieurs milliers d’euros sans pour autant être sortis d’affaire. Peut-être serait-il temps de créer une cellule pour régulariser notre situation ? Car, actuellement, aucune solution n’existe. Propos recueillis par Louise Auvitu http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1634244-americaine-accidentelle-je-vis-un-enfer-j-ai-du-renoncer-a-ma-double-nationalite.html?lipi=urn%3Ali%3Apage%3Ad_flagship3_profile_view_base_treasury%3Bk7us6ISdTzeOCztMjaDRDw%3D%3D
Tax Day maneuvering
https://www.politico.com/newsletters/morning-tax/2018/04/17/tax-day-maneuvering-173611