Gourin. Traqués par le fisc américain
Ils se nomment « les Américains accidentels ». Des Français nés aux États-Unis mais qui n'y ont jamais, ou si peu, vécu. Et auxquels le fisc américain s'intéresse de près. Réunis hier, à Gourin (56), ils n'entendent pas céder aux demandes pécuniaires de l'Oncle Sam.
Ce sont des soeurs jumelles. Nées sous l'ombre des buildings new-yorkais il y a soixante ans. Dominique, venue spécialement de Toulouse, et Marianne (prénom d'emprunt), Brestoise, ont répondu hier à l'appel du collectif « Américains accidentés », comme l'a baptisé le Parisien Fabien Lehagre, à l'origine de cette mobilisation et, lui aussi, victime de cet imbroglio administratif.
Pour mieux comprendre, revenons à nos jumelles et leur épais dossier. L'Amérique, elles l'ont quittée à l'âge de 16 mois. Sans jamais y remettre les pieds. Seul souvenir, un passeport de bébé même pas tamponné. Depuis, elles ont tout fait français : la nationalité, la carte d'identité, le travail, la maison, le compte bancaire...
Des démarches coûteuses pour laisser sa nationalité US Quelle ne fut donc pas leur surprise, il y a deux ans, d'apprendre par leur banque que le fisc américain s'intéressait à leur indice « d'américanité ». Elles seraient redevables d'un impôt aux États-Unis. À elles de confirmer leur nationalité américaine, en communiquant leur Social Security Number (SSN), ou d'en attester la perte. Des démarches fastidieuses et surtout coûteuses. Plusieurs milliers d'euros. Et ne rien faire laisse planer la crainte de poursuites pour fraude fiscale. « C'est kafkaïen, peste Marianne, quand on le raconte, personne ne nous croit. On se sent seules. Nous avons pris un avocat spécialisé pour nous dépêtrer de tout ça. »
30 % retenus sur les comptes récalcitrants
Ces binationaux sont des victimes collatérales de la loi Facta (Foreign Account Tax Compliance Act), votée en 2014 et dont le but est de lutter contre l'évasion fiscale. Elle cible tous les contribuables américains installés à l'étranger (les États-Unis étant le seul pays à faire reposer l'impôt sur la nationalité et non sur la résidence). En France, plusieurs milliers de personnes seraient concernées. Dont de nombreux Bretons, qui s'inquiètent. La loi prévoit une retenue de 30 % sur les comptes « récalcitrants ».
« Moi, je suis partie à onze ans. Je n'avais jamais eu de soucis. J'ai rempli le papier de la banque », raconte Nathalie. « Mais il ne fallait pas », tonne son voisin. « Que faut-il faire alors ? ». Fabien Lehagre reste prudent. Pour l'heure, il liste les préjudices : héritages bloqués, impôts supplémentaires pour ceux qui ont accepté, plus-values sur les biens immobiliers... « Les Canadiens nés aux États-Unis ont eu le même problème. Certains ont eu des sommes faramineuses à payer, d'autres ont été ruinés. » Il mise surtout sur la création d'une association pour entamer des démarches juridiques contre l'État français, clairement visé.
L'État français incriminé
Les reproches fusent dans la salle. « C'est du vol ! Comment la France peut-elle accepter ça ? ». « Envoyer de telles informations aux États-Unis est contraire au droit international, reprend Fabien Lehagre. J'ai tenté de sensibiliser Bercy et le ministère des Affaires étrangères mais ils m'ont fait comprendre que ce n'était pas leur problème. Au Capitole, à Washington, où il y a des demandes d'abrogation de la loi, ils sont au courant de notre réunion ici. »
Maire de Langonnet (56), Christian Derrien a vécu outre-Atlantique jusqu'à ses 9 ans. « Ce qui m'étonne, c'est que ce sont des documents qui viennent des banques, ce sont des privés qui font le travail. Je n'ai pas de raison de répondre à une banque, c'est à l'État de s'adresser à moi. » Le collectif souhaite interpeller les candidats à la présidentielle. « Vont-ils continuer à subir la loi américaine sans rien dire ? », questionne Fabien Lehagre.
Tax Day maneuvering
https://www.politico.com/newsletters/morning-tax/2018/04/17/tax-day-maneuvering-173611