L'enfer de ces milliers de Français poursuivis par le fisc américain
Nés par accident aux États-Unis, des Français qui n'y ont jamais vécu se retrouvent depuis 2014 poursuivis par le fisc américain à cause d'une loi américaine d'échange des données bancaires appliquée en droit français. Certains ont déjà dû payer des dizaines de milliers d'euros.
C'est une situation ubuesque. Anne, 56 ans, vétérinaire vit et travaille en France depuis toujours. Elle y paie ses impôts et a toujours été en règle avec le fisc français. Depuis 2 ans pourtant, elle est dans le collimateur du fisc américain à qui elle a déjà dû verser pas moins de 60.000 dollars. Anne n'a pourtant jamais travaillé aux États-Unis et n'y possède aucun placement. Son seul "tort" au regard du fisc américain c'est d'y être née en 1961 et donc d'avoir la double nationalité. "Mon père faisait un voyage d'étude et j'y suis née par hasard, explique-t-elle. Je n'y ai vécu que 3 mois et je n'y suis depuis retourné qu'en vacance. Je ne parle même pas anglais."
Sauf qu'il y a deux ans, Anne a reçu un coup de fil de sa banque lui demandant de se mettre en conformité avec le fisc américain. "Moi naïvement, j'ai accepté de faire les démarches, de demander un numéro de sécu américain et de remplir le document W9 pour transmettre mes données aux États-Unis, détaille-t-elle. J'ai toujours voulu être dans les clous." Elle se fait alors conseiller par des avocats fiscalistes américains qui font les démarches ultra-complexes pour elle. "Une affaire qui m'avait déjà coûté 25.000 dollars mais je pensais qu'en les payant, je réglerais la situation", confie-t-elle, pensant qu'il n'y avait pas de double imposition avec les États-Unis.
"60.000 dollars et des nuits blanches"
Sauf qu'Anne s'est trompée. Le fisc américain peut lui réclamer des impôts sur des placements défiscalisés en France comme les assurances-vie par exemple. Résultat: elle doit payer 9500 dollars au titre de l'année 2012, 4.500 pour 2013, 6600 pour 2014 et plus de 1000 pour 2015. "J'ai compris que ça n'allait jamais s'arrêter si je ne renonçais pas à la nationalité américaine, explique-t-elle. Ce que j'ai fini par faire et qui m'a coûté 2500 dollars de plus." Au total, elle chiffre l'ensemble de la note aux alentours de 60.000 dollars. "Et aussi beaucoup d'angoisse et de nuits blanches..."
Mais comment quelqu'un qui a vécu brièvement aux États-Unis, qui n'y exerce aucune activité et n'y possède aucun placement peut-il être poursuivi par le fisc américain? Tout simplement parce que la France a ratifié dans le droit hexagonal la loi dite Fatca en 2014. Cette loi américaine votée en 2010 avait pour but de lutter contre l'évasion fiscale. Elle impose aux institutions financières, où qu’elles se trouvent dans le monde, de communiquer à l’administration américaine les données fiscales de tous leurs clients américains sous peine de mesures de rétorsion. Et pour cibler ces contribuables, les banques identifient des "signes d'américanité" chez leurs clients. Si vous y êtes nés, le droit du sol s'applique et vous êtes considérés comme un citoyen américain. Le fisc américain peut donc vous réclamer des impôts. Et si ceux payés sur le revenu en France sont défalqués de ceux réclamés par les États-Unis, de nombreux placements sont imposables. Avec des situation rocambolesques comme le fait de ne pas pouvoir déduire les frais de scolarité -comme c'est le cas aux États-Unis- car les enfants de ces Américains accidentels ne sont pas eux-même américains! Et ils seraient plusieurs milliers en France à avoir ce statut d'Américain dit accidentel.
"Et vous ne pouvez alors rien faire que payer, explique Marie-Caroline, une Parisienne dans ce cas. Moi c'est en voulant contracter un prêt avec la BNP en 2014 que j'ai découvert ça. Ils ont exigé que je renonce à ma nationalité et que je sois en règle avec le fisc américain sous peine de m'exclure! Et comme une amie m'a dit qu'elle connaissait quelqu'un dans ce cas qui avait eu une succession bloquée à cause de ça, j'ai fait les démarches." Refusant de faire appel à un fiscaliste américain qui lui facturait le conseil 23.000 euros, elle décide de remplir elle-même sa déclaration d'impôt de 70 pages en anglais. "Je n'y comprenais rien au jargon fiscal américain, j'ai dû acheter un logiciel, explique-t-elle. Mais malgré tout ça me prend 5 week-ends par an et ce chaque année depuis 2014!" Comme pour Anne, le fisc lui réclame des impôts sur ses placements (PEA et PEL pour elle). Pour être en conformité sur les cinq dernières années, c'est près de 10.000 euros qu'elle est obligée de payer. "Je n'en dormais plus la nuit et je ne me voyais pas faire ça jusqu'à la fin de ma vie, j'ai donc dû renoncer à la nationalité américaine", explique-t-elle. Coût total de la mésaventure: plus de 12.000 euros.
"Attaquer l'État français pour négligence de protection"
C'est pour tenter de trouver une solution que Fabien Lehagre, cadre commercial, lui-même concerné par le problème a créé en 2015 l'association des Américains Accidentels qui regroupe plusieurs centaines d'adhérents. Depuis plusieurs mois, ils tentent de convaincre les pouvoirs publics français de renégocier l'accord avec les États-Unis. Un sujet qui ne semble pas être la priorité des gouvernements tant l'actuel que les précédents. Devant le mutisme de l'exécutif, l'association a attaqué devant le conseil d'État un arrêté du 25 juillet 2017 venant encore renforcer le Fatca en créant un système automatisé d'échange des informations entre les deux États. "Nous mettons en avant le fait qu'il n'y a pas réciprocité avec les États-Unis et que les données personnelles des conjoints des Américains accidentels ne peuvent pas être transmises au fisc américain, explique Fabien Lehagre. Si le Conseil d'État nous donne raison, ce qui peut prendre 18 mois, nous pensons que le Fatca ne pourra plus être appliqué."
Tax Day maneuvering
https://www.politico.com/newsletters/morning-tax/2018/04/17/tax-day-maneuvering-173611