Le calvaire fiscal de ces Auvergnats devenus des "Américains accidentels"
De parents français, ces Auvergnats, fils et filles d'employés Michelin à Greenville, sont nés aux Etats-Unis et doivent aujourd'hui affronter les drastiques exigences de l'administration fiscale américaine. Ils se regroupent au sein de l'association des Américains accidentels.
Lui-même le reconnaît. Son histoire ne pourrait être qu'anecdotique et à ranger du côté des histoires insolites à raconter en soirée. Mais aujourd'hui, à l'heure où ses comptes bancaires peuvent être fermés du jour au lendemain, l'anecdote ne prête plus à sourire.
Clément a 35 ans et vit aujourd'hui dans l'Allier. Sa vie, il l'a pourtant débutée à 6.000 kilomètres de là, à Greenville, en Caroline du Sud, aux Etats-Unis.
Son père, Français employé Michelin en Auvergne, a été muté outre-Atlantique en 1981. A l'époque, sa mère est enceinte. De fait, en naissant sur le sol américain quelques mois plus tard, Clément obtient la nationalité américaine. Et la double nationalité française, droit de filiation oblige. Tout comme sa soeur, elle aussi née à Greenville.
Quatre ans plus tard, c'est le retour en France, dans un petit village non loin de Clermont-Ferrand.
« De Greenville, je n'ai que quelques flashs, pour la plupart fabriqués, je pense. » Et un passeport américain, « obligatoire même quand on est bébé pour rentrer pendant les vacances voir la famille restée en France ».
Bilingue à son retour, il arrêtera rapidement de parler anglais, « car dans un petit village auvergnat, on se fait vite remarquer inutilement », sourit-il.
L'histoire de cet enfant né aux Etats-Unis aurait pu s'en tenir à cette anecdote.
A 35 ans, Clément ne se considère pas comme Américain. Aujourd'hui, tout lui rappelle à cette naissance sur le sol américain.
Les Etats-Unis, il y est bien retourné à deux reprises, en 2008 et 2011, pour découvrir New-York et les parcs de l'ouest américain. Mais pas certain qu'il y retourne en toute sérénité aujourd'hui .
Formulaire W9 et « indices d'américanité »
Cela, il le découvre à son retour de Londres, où il a travaillé comme contrôleur de gestion international pendant quatre ans. À son retour, le courrier s'est accumulé.
Une lettre l'intrigue. Ses banques, dont une en ligne, lui adressent un formulaire à remplir, le W9. « Je devais prouver que j'avais renoncé à ma nationalité. » Première surprise, il croyait l'avoir perdue avec les années car il n'en a jamais fait usage .
Surtout, il doit communiquer son TIN, son numéro d'identification fiscal américain. « Sauf que je n'en ai aucun. » Et pour cause. Il n'a jamais travaillé là-bas.
Clément se renseigne alors. Afin de lutter contre l'évasion fiscale, il découvre que les Etats-Unis ont signé en 2013 les accords Fatca.
« Pour résumer, une banque doit se conformer aux desiderata des autorités américaines en matière d'information sur tous ses clients citoyens américains, ou payer une retenue à la source de 30% sur ses activités outre-Atlantique. Bien sûr, la plupart des grandes banques choisissent de coopérer. Soit informer les autorités américaines sur les mouvements de comptes concernant leur clients "US". Les exigences sont si lourdes que certaines banques, françaises, notamment, ont résolu le problème simplement : elles excluent tout citoyen américain. »
« En gros, les Etats-Unis veulent taxer ceux qui ont bénéficié de leur système et qui seraient partis à l'étranger pour payer moins d'impôts. »
CLÉMENT (« Américain accidentel »)
Sur le papier, il peut comprendre. Mais il n'y a vécu que quatre ans et passé pas plus d'une année à l'école.
Ouverture de compte refusée
Une anecdote de plus ? Plus vraiment. Car les conséquences ne prêtent plus à sourire. « Quand les banques en ligne découvrent votre "américanité", elles refusent de vous ouvrir un compte. Quand elles ne ferment pas directement les comptes des gens qui ont des produits financiers type assurance-vie. »
Il a même tenté une demande de crédit en ligne sur une banque en ligne mais une fois sa binationalité précisée, il n'a pas pu aller plus loin dans sa démarche...
Pour le moment, sa banque régionale, bien que lui envoyant chaque année le formulaire W9 à remplir qu'il met systématique de côté, a accepté son offre de prêt.
« Elle déclare pourtant à l'administration américaine tous mes avoirs de manière automatique. Mais aussi ceux de mon compte joint et de mon fils dont j'ai la procuration...»
CLÉMENT (« Américain accidentel »)
Au-delà de l'intrusion dans sa vie privée par l'administration fiscale américaine, il dénonce aussi d'autres conséquences inattendues. « J'ai découvert qu’en tant qu’Américain, se rendre aux Etats-Unis en vacances avec un passeport français est passible de prison. »
Renoncer à sa nationalité, facile à dire...
S'ils survient un décès dans sa famille, au moment de la succession, les avoirs peuvent être gelés tant qu'il n'a pas renoncé à sa nationalité. Ce qui sur le papier peut correspondre à une formalité est un véritable parcours du combattant.
« Il y a les frais – « de 2.300 dollars » – mais aussi l'entretien très intrusif face à plusieurs personnes où l'on doit se justifier. » Sans oublier de devoir se mettre en règle avec l'administration fiscale américaine... déjà à votre recherche.
« On se sent un peu seuls »
Pour le moment, Clément se fait discret et parvient à passer entre les mailles du filet. Autant pour se faire entendre qu'obtenir des réponses, il a rejoint l'association des « Américains accidentels » comprenant quelques centaines d'adhérents confrontés à son problème, avec des conséquences plus marquantes pour certains.
Aujourd'hui plus de 100.000 personnes seraient concernées en France.
Sur le papier, lui et les membres de l'association des « Américains accidentels » n'ont rien contre les accords Fatca.
« Mais les accords Fatca doivent être revus et exclure certains critères. Nous ne sommes plus des citoyens européens égaux comme les autres. On a un boulet aux pieds.»
CLÉMENT (« Américain accidentel »)
Le but de leur démarche est aussi d'alerter les personnes qui pourraient être dans ce cas et qui l'ignorent.
Pierre Peyret
Tax Day maneuvering
https://www.politico.com/newsletters/morning-tax/2018/04/17/tax-day-maneuvering-173611