Le cauchemar fiscal de ces Français nés aux Etats-Unis
Nés aux Etats-Unis mais n'ayant plus aucune attache avec ce pays, des Français sont rattrapés par le fisc américain. Enquête sur ces Américains accidentels plongés dans une situation kafkaïenne. Leur seul tort est d'être né aux Etats-Unis. Ils n'y sont restés que quelques jours, quelques mois. Au gré des pérégrinations de leurs parents. Depuis, ils sont revenus vivre dans leurs pays d'origine. En Europe, ils sont français, allemands, britanniques, italiens, espagnols... Ils sont plus de 10.000. Leur nationalité américaine ? Ils l'ont oubliée ou s'en souviennent vaguement comme un souvenir de jeunesse. Jusqu'à ce que leur passé resurgisse.
L'administration fiscale américaine, l'Internal Revenue Service (IRS), les a brusquement réveillés. Pour un cauchemar. La faute à une loi née du scandale UBS de 2008 - le Foreign Account Tax Compliance Act ou Fatca -, adoptée par le Congrès en 2010 afin de combattre la fraude fiscale des Américains.
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Appliqué en France depuis 2014, le Fatca oblige les banques de l'Hexagone à communiquer au fisc américain les données personnelles, les avoirs supérieurs à 50.000 dollars (environ 40.000 euros) et les transactions de tous leurs clients de nationalité américaine.
Les Etats-Unis considèrent que tout citoyen américain est redevable de l'impôt quel que soit son lieu de résidence dans le monde. Un dispositif unique au monde, exception faite de l'Erythrée. Tous les autres pays se basent sur le lieu de résidence pour asseoir leur collecte d'impôts.
Pas de traces à l'ambassade
Brune, les cheveux courts, tailleur chic, Marilyn fait partie de ces 10.000 personnes qualifiées d'« Américains accidentels ». « Je suis née aux Etats-Unis dans l'Etat de Géorgie en 1950 d'une mère bretonne et d'un père anglais. J'ai quitté le territoire un mois plus tard. Depuis, j'ai vécu et travaillé en France. Je n'ai plus de passeport américain depuis 1974, année où j'ai renoncé à ma nationalité américaine. »
En 2014, les ennuis commencent. « J'ai reçu un courrier de ma banque française comme quoi j'étais américaine. Elle me demandait de remplir le document W-9 de l'IRS sur lequel je devais indiquer mon numéro d'identité fiscale. J'ai refusé, sûre de mon bon droit puisque j'avais renoncé à ma nationalité dans les années 1970. »
Sauf que l'ambassade des Etats-Unis, à Paris, n'en a gardé nulle trace. « J'ai fini par obtempérer aux demandes de ma banque et du fisc américain. J'ai rempli des tas de documents en anglais difficilement compréhensibles, communiqué mes revenus sur les quatre dernières années et les mouvements de tous mes comptes sur six ans. Au final, l'IRS me réclame 6.000 euros d'impôts, alors que je ne suis même pas imposable en France. » Marilyn a décidé de ne pas payer et d'attendre.
Vente d'actions
Arnaud (1) est né aux Etats-Unis en 1963. Ses parents y sont restés un an et demi. « Dans ma jeunesse, j'avais un passeport américain. Je trouvais ça 'fun'. Il a expiré en 1989. Je n'ai fait en tout et pour tout que deux voyages touristiques d'une semaine aux Etats-Unis dans ma vie. Je me considère comme Français. »
En 2013, il découvre que sa banque lui a prélevé une taxe de 30 % sur le produit d'une vente d'actions Home Depot en Bourse (le Nyse) que lui avait léguées son père, au prétexte qu'il était américain et qu'il n'avait pas rempli ce fameux formulaire W-9. Arnaud proteste auprès de l'Autorité des marchés financiers (AMF) en France. En vain. L'AMF donne raison à sa banque.
« Comme je ne voulais pas être dans l'illégalité, j'ai rempli ce document pour l'IRS grâce à l'aide du consulat américain. Entre-temps, j'ai changé de banque. Mais mon nouvel établissement transmet toutes mes données financières au fisc américain. Malgré mes demandes, la banque a refusé de me dire lesquelles. Pour l'instant, l'IRS ne me demande rien. Mais qu'arriverait-il si je vendais ma maison principale avec une plus-value ? Je serais sans doute taxé. » En savoir plus sur https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/0301220197621-le-cauchemar-fiscal-de-ces-francais-nes-aux-etats-unis-2150401.php#kThKQq3ucrjCbkDg.99
David (1) est né en France. Son père est américain et sa mère française. Il a trois frères et soeurs. La fratrie, considérée comme américaine par l'IRS, a dû aussi remplir les documents administratifs et ce formulaire W-9 à la suite de rachats de titres sur un contrat d'assurance-vie.
« A nous quatre, nous nous sommes assuré les services d'un cabinet d'avocats pour remplir environ 700 pages de renseignements pour l'IRS. Au départ, la facture devait s'élever à 30.000 euros. Au final, on arrive à 150.000 euros sans avoir été avertis d'un dépassement d'honoraires. C'est scandaleux », s'insurge-t-il. La galère ne s'arrête pas là.
David, qui a créé une entreprise, l'a revendue par la suite avec une plus-value. « Le fisc français a prélevé un impôt sur cette plus-value auquel se rajoute la CSG. J'en ai eu pour 140.000 euros. Du fait de ma nationalité américaine, mon avocat m'a informé que j'allais devoir m'acquitter, cette fois-ci aux Etats-Unis, d'un impôt supplémentaire de 115.000 dollars sans que les taxes payées en France ne soient prises en compte. Or, j'ai déjà réinvesti dans une autre entreprise en France. » « Mon histoire s'apparente à une captation de capitaux français par les Etats-Unis. C'est du racket », s'irrite-t-il. Au final, David décide de faire le mort. « J'ai payé 50.000 euros pour solder mes frais d'avocat et j'attends la suite des événements. »
Des clients indésirables
Ces tracasseries administratives se doublent d'une discrimination des banques présentes en France. Ces dernières ont une fâcheuse tendance à vouloir se débarrasser de leurs clients présentant des indices d'américanité. Et pour cause.
L'administration fiscale américaine les menace, en cas de non-transfert des données financières de leurs clients américains, de leur imposer une taxe de 30 % sur tous leurs flux de paiements originaires des Etats-Unis. Une arme redoutable qui peut exclure du juteux marché obligataire américain tout établissement financier récalcitrant.
« Si vous êtes Américains accidentels, ne comptez pas ouvrir un compte auprès d'une banque en ligne », s'énerve Marilyn. Et les exemples ne manquent pas. AXA Banque a annoncé, en février 2014, sa décision de fermer en France les comptes de ses clients américains. La banque en ligne Hello Bank! du groupe BNP Paribas refuse les clients présentant des indices d'américanité et les renvoie vers une agence du réseau BNP Paribas. Idem pour ING Bank, qui ne veut pas des « US persons ».
La Société Générale, elle, a indiqué que, à compter du 1er juillet 2014, elle n'accepte aucun nouveau client américain qui refuserait de respecter les règles de l'IRS. Autant dire que la vie quotidienne des Américains accidentels peut très vite devenir un enfer. « Du jour au lendemain, nous sommes passés d'un statut de client au-dessus de tout soupçon à celui de paria. C'est tout juste si l'on ne nous considère pas comme des voyous et des évadés fiscaux ayant tout à cacher », fulmine Arnaud.
Renoncer à sa nationalité
Une solution serait de renoncer définitivement à la nationalité américaine comme l'a fait Boris Johnson, le ministre des Affaires étrangères britannique, en février 2017.
Rien qu'à Londres, plus de 5.000 binationaux ont renoncé à leur double nationalité en 2016. Un chiffre en hausse de 26 % par rapport à 2015, selon le « Wall Street Journal ». Mais les démarches sont longues. Et l'administration américaine ne comprend pas pourquoi ces personnes ne veulent plus être citoyens de la première Nation du monde.
De plus, c'est coûteux. Les frais sont passés de 450 dollars en 2014 à 2.350 dollars aujourd'hui. Surtout, cette renonciation n'exonère pas le demandeur de s'acquitter de son impôt sur les cinq dernières années.
Face à ces situations inextricables, les Américains accidentels s'organisent pour dénoncer le Fatca, que d'aucuns appellent « Find And Tyrannize Citizens Abroad » (Trouver et Tyranniser les citoyens à l'étranger).
En avril dernier, dans la petite commune de Gourin (Morbihan), Fabien Lehagre fonde l'Association des Américains accidentels (AAA). Cheveux noirs, costume sombre, démarche volontaire, Fabien Lehagre a 33 ans et il est né, lui aussi, aux Etats-Unis d'un père français et d'une mère singapourienne. Il connaît bien la problématique.
« J'ai été très surpris du succès de cette réunion bretonne, où plus de 100 personnes se sont déplacées. Aujourd'hui, l'association compte plus de 300 membres et je suis en contact avec près de 600 personnes. »
Une fois sur pied, l'Association mandate Régis Bismuth, professeur à l'école de Droit de Sciences Po, pour un mémo juridique. Ayant longtemps étudié l'extraterritorialité de la législation américaine, Régis Bismuth rédige un document de près de 100 pages. Il y détaille les solutions juridiques qui peuvent être mises en oeuvre pour résoudre le problème des Américains accidentels.
« Je leur ai indiqué qu'ils avaient peu de chances de se faire entendre via des démarches individuelles. Ecrire des lettres de réclamation aux banques n'est guère utile. Leur stratégie était éparpillée et il fallait une initiative collective portée par l'association », explique Régis Bismuth. Très vite, ce dernier trouve une faille dans laquelle l'AAA va s'engouffrer.
Une faille dans la législation
Cette faille, c'est un arrêté du 25 juillet 2017 qui permet la collecte de données bancaires transmises au fisc américain. « Cet arrêté a été pris illégalement et les Etats-Unis n'ont pas mis en oeuvre un échange réciproque de données comme ils s'y étaient engagés », explique Régis Bismuth.
Dans les faits, le Fatca devrait s'insérer dans la stratégie du forum du G20 de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales au niveau mondial. C'est l'OCDE qui a mis au point tout un dispositif d'échange automatique et réciproque d'informations. Mais les Etats-Unis ont préféré agir seuls et imposer leurs pratiques avec le Fatca. Ils l'ont fait en concluant nombre d'accords bilatéraux. Avec la France, il a été signé en 2014 .
A l'époque, les autorités françaises n'ont eu que le choix de se soumettre à la volonté hégémonique américaine sous peine de voir les banques françaises exclues des marchés américains. Le sénateur Philippe Marini (UMP) avait évoqué un « vote contraint ».
Résultat : avec le Fatca, les Américains demandent tout et ne donnent quasiment rien. Ce qui fait dire à certains que les Etats-Unis sont devenus le premier paradis fiscal au monde . Le mois dernier, une étude de l'ONG Tax Justice Network consacrée à l'opacité financière de plus de 110 pays les a juste placés derrière la Suisse.
Recours déposé au Conseil d'Etat
Quoi qu'il en soit, c'est sur la base de cette réciprocité que l'AAA a décidé de se battre. Avec le mémo de Régis Bismuth, l'association se tourne vers le cabinet d'avocat Spinosi-Sureau pour contre-attaquer.
« Nous avons déposé devant le Conseil d'Etat un recours contre ce décret d'application. Nous constatons une absence de réciprocité et l'application de ce traité constitue une atteinte à la vie privée des personnes », explique Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la cour.
Si le Conseil d'Etat leur donne raison, le gouvernement français devra renégocier les termes de cet accord bilatéral signé entre Paris et Washington. La décision est attendue dans le courant de l'année.
Réponses polies
En dépit du lobbying de l'association, qui a rencontré des officiels à Bercy, au ministère des Affaires étrangères, à Matignon et à l'Elysée, le dossier n'avance guère. « Nous avons reçu des réponses polies, mais dans les faits, tout le monde se renvoie la balle », témoigne David, qui a assisté à une réunion entre l'association et des membres du cabinet de Bruno Le Maire.
Le dossier est éminemment politique. Si d'aventure le Conseil d'Etat se défausse, l'Association envisage de porter l'affaire au niveau européen. « Si nous sommes déboutés par le Conseil d'Etat, nous saisirons la Cour européenne des droits de l'homme », promet Fabien Lehagre.
La bataille au niveau européen a timidement commencé. Une pétition a été déposée au niveau de la Commission européenne. Lors de l'audition, l'an passé, la députée néerlandaise Sophia In't Veld (Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe) ne s'est d'ailleurs pas privée de fustiger le Fatca et l'absence de réaction de la Commission européenne. Toutefois, en ce qui concerne l'aplication du Fatca, Bruxelles insiste sur le fait qu'elle est du ressort de chaque Etat membre européen. Il lui revient de modifier éventuellement les termes de leurs traités bilatéraux signés avec les Etats-Unis.
Audience à Bruxelles
La lutte va se poursuivre et les Américains accidentels français attendent la décision du Conseil d'Etat. Espérant que le gouvernement français les aidera un minimum pour oublier leurs cauchemars dignes de Kafka.
(1) les prénoms ont été changés.
Richard Hiault
Tax Day maneuvering
https://www.politico.com/newsletters/morning-tax/2018/04/17/tax-day-maneuvering-173611